top of page

Adieu au langage : la dernière Vague.

Qu'est-ce que le langage? Qu'est-ce que la cohérence? Doit-elle être la fonction essentielle d'un film? Qu'est-ce qui détermine notre rapport à ce qui est beau et ce qui est laid? Et, surtout, quelle importance octroyer à l'adieu testamentaire de Jean-Luc Godard?

Ces interrogations sont les flux qui traversent Adieu au langage, dernier long métrage (en 3D !) de J.-L. Godard, pour lequel il reçut son premier prix à Cannes en 2012. Plutôt que des flux, elles apparaissent surtout comme des lignes droites et tranchantes, qui se croisent sans apparente cohésion, l'une trouvant furtivement une réponse dans la question posée par l'autre, composant un virtuose tableau sensoriel. Filmé tantôt à l'aide d'une caméra GoPro, tantôt de smartphones et d'appareils photos standards, ce film révèle une mise en scène innovante aussi étrange que le propos qu'elle dessert. Un propos fait de provocations audacieuses, d'aphorismes paradoxales, de métaphores éparses et d'éloges sur l’œuvre de différents artistes (le peintre Nicolas de Staël, le sociologue Jacques Ellul...). Au fur et à mesure que la fiction se diffracte, le langage disparaît peu à peu, laissant place à la beauté (ou la laideur?) explicite de l'image.

Flou. Des images dans le désordre ; plein de couleurs qui se superposent. Mise au point. On découvre alors un couple. Très vite, il disparaît, tandis qu'un autre, qui attentait au bord du cadre, silencieux, s'avance maintenant, mis à nu devant l’œil stoïque de la caméra. Il y a un peu d'amour, mais surtout des doutes. L'homme commence à dire quelque chose, mais ne finira jamais sa phrase. Strabisme. Le film recommence : l'éternel retour au Même. Sauf qu'il y a le chien - l'autre Godard - qui est venu se glisser entre Adam et Ève, remettant par sa présence tout en question, jusqu'à la signification des mots et leur utilité.

Souvenirs. Des couleurs apparaissent, qui nous avaient échappé la première fois. Strabisme. Des assertions philosophiques, des aphorismes. Les hommes libres sont incapables de s'intéresser les autres. C'est précisément leur liberté commune qui les sépare. Des aboiements, de belles musiques, un cri de nourrisson. Rien que l'on puisse appeler langage. Des bruits hétérogènes, tout au plus, qui accentuent la fracture entre l'expérimental et la réalité. Strabisme.

Ce renoncement à une quelconque harmonie est le message que cherche à faire passer J.-L. Godard, l'aboiement du chien solitaire et visionnaire qui vit en lui. Le langage, c'est tout ce qui se sophistique pour seoir au confort de l'Homme, pour lui rendre tout plus agréable. Le cinéma en tête, avec une perpétuelle recherche d'une esthétique de plus en plus soignée et lisse. Tout ce que à quoi le cinéaste dit non, et finalement adieu. Il nous dit aussi : l'idéal de beauté auquel on se conforte est castrateur. Il ne permet pas de l'élargir à d'autres formes, d'autres motifs.

L'Adieu au langage invente une autre forme de beauté, provocante car novatrice, faite à partir de tout ce qui, depuis toujours, est perçu comme laid et primitif. C'est donc là sa réponse, et peut-être la naissance de la dernière Vague, celle où le cinéma trouvera son propre langage dans toutes les beautés imaginables. Une vague qui, j'espère, incitera un jour de nombreux cinéastes à suivre J.-L. Godard.

Mais aujourd'hui, c'est encore trop tôt, comme l'atteste l'incompréhension et l'aversion de nombreux critiques, qui ne sont pas prêts à renoncer aux autres films, à cette beauté commune qui les sépare. Pas encore prêts pour comprendre qu'Adieu au langage est le film le plus cohérent de ces dix dernières années.

«Il y a le visible et l’invisible. Si vous ne filmez que le visible, c’est un téléfilm que vous faites », disait Godard.

Mais Adieu au langage se trouve bien plus loin que cela, il rend abstraites les notions de visibilité. Ce qui importe, c'est de (pou)voir, quel qu’en soit la façon. J.-L Godard, lui, est allé jusqu'où il le pouvait, et s'il n'y a pas à douter qu'il réalisera d'autres longs-métrages avant sa mort, ce chef-d'oeuvre demeurera son testament, car point de non-retour ; ce n'est pas un au revoir, mais bel et bien un adieu. Plus jamais, sa mise au point ne pourra être aussi nette, démiurgique et visionnaire.

Articles à l'affiche
Articles Récents
Archives
Rechercher par Tags
Pas encore de mots-clés.
Retrouvez-nous
  • Facebook Basic Square
  • Twitter Basic Square
  • Google+ Basic Square
bottom of page