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All work and no play make Bubby a dull boy.

Bad Boy Bubby n’est pas l’histoire d’un criminel, ni d’un fou. C’est l’histoire d’un « être » humain, qui devra compter sur la seconde moitié de sa vie pour comprendre l’entière signification de ces deux mots accolés. J'ai eu la chance de découvrir ce chef-d'oeuvre au cinéma, ce que je recommande évidemment pour avoir une meilleure approche du travail photographique et sonore.

Séquestré depuis sa naissance par sa mère, Bubby ignore tout du monde extérieur qu’il croit empoisonné. Le jour de ses 35 ans, il va sortir… et découvrir un monde à la fois étrange et merveilleux, où il y a des pizzas, des arbres, des chats, et de la musique.

Lors de sa sortie, en 1993, Bad Boy Bubby a su faire parler de lui à la Mostra de Venise, où il remporta d’ailleurs cinq prix. Qu’il divise les avis montre à quel point on peut en tirer matière à débattre. Choquant par moments voire répugnant, il est surtout intéressant à regarder pour sa qualité à dénoncer, à échelle individuelle, l’emprise de pouvoirs répressifs sur les populations influençables, la manipulation, l’aliénation, qui place le film au cœur d'un cinéma engagé.

10 années d’écriture, 2 ans de tournage et 32 directeurs de la photographie (un chef opérateur pour chaque lieu) ont été nécessaire pour que cette œuvre étrange et bouleversante voie le jour. Rolf De Heer n’a rien inventé. Pourtant, Bad Boy Bubby est assurément unique dans sa conception cinématographique ; parabole punk, barrée, aussi proche de l’expérimental que du drame psychologique.

Première partie, ou 35 ans d'une relation œdipienne et castratrice. Les premières scènes se succèdent, suscitant l'indignation effective par leur radicalité. L’étau avec l'écran se resserre, ne laissant plus filtrer aucune lumière dans le stupre où vit Bubby. Notre écœurement se fait prisonnier de quatre murs dégueulasses ; aucune sortie n’est envisageable pour expier cette sensation de malaise, d’étouffement, de claustrophobie. La mère de Bubby, répugnante et incestueuse, nous cloître avec lui dans l’enfer quotidien. Monstrueuse ogresse, elle est parvenue, grâce à des mensonges et des abominations inventées sur le monde extérieur, à assujettir Bubby et le réduire à la condition d’esclave sexuel et domestique. Elle l’use à sa guise, mais rien ne semble déranger l’intéressé. Ce huis clos sordide et glauque incite d’abord à s’arrêter là, à ne pas s'aventurer plus loin et laisser ces égouts à leur place sans plus s'en préoccuper. Cette relecture du mythe d’œdipe entre Bubby et sa mère est ambiguë, dans la mesure où la situation convient au bourreau comme à sa victime.

Ce n’est que l’arrivée de papa qui bouleverse ce petit monde bien tranquille dans sa malsanité. Si Bubby s’est souvent ennuyé et que les tentations de sortir durant l’absence de maman l’ont maintes fois tiraillé, cette nouvelle forme de vie humaine l’interroge vraiment pour la première fois quant à la vérité des propos maternels. Dans sa tête, c’est l’effervescence et l’incompréhension devant la violence de son père et le délaissement de sa mère qui n’a d’yeux plus que pour son mari, aussi violent et dérangé qu’elle. Rongé par la jalousie et aspirant toujours à d’étranges expériences sur n’importe quelle matière corporelle, Bubby réalise le plus important acte de sa vie en assassinant ses parents (je vous laisse le plaisir de découvrir par vous-même comment). Dès lors, le monde extérieur semble à portée de main, le couloir prêt à être traversé. Il y a en son bout la lumière, la vraie, terriblement attirante. Effrayé et fasciné, Bubby traverse, péniblement, retourne sur ses pas après une mauvaise première expérience, avance de nouveau, recule un peu, avance beaucoup… Et soudain le ciel apparaît.

Seconde partie : apprendre à vivre. Cette seconde partie commence avec un catharsis, celui du cri du nouveau-né, retenu bouillant pendant 35 ans dans l'esprit torturé de Bubby. Un voyage initiatique commence pour ce nourrisson : initiation à l’humanité, dans ce qu’elle a de pire comme de meilleur, initiation aux sentiments humains. Une quête qui peut s'avérer difficile, dans cette Australie désenchantée, marquée par des contrastes et par la misère, où l'homme a fait de lui-même sa propre loi. Pour Bubby, les rencontres qu'il fait dans ce territoire en friche marquent différentes étapes dans son acquisition du « moi » social. Sa grande force, c’est d’ignorer tout du monde, et donc de l’appréhender sans différencier des notions parasites comme le Bien et le Mal, la bonne et la mauvaise conscience, les apparences physiques et sociales. Cette (presque) inoffensive créature se crée une identité composée comme un puzzle de chacune des personnalités de ceux qui croisent son chemin. Ça passe par l’amitié des rejetés de la société (des handicapés et des sans-abris), la cruauté des profiteurs et des individualistes, le ridicule parfois, l’humiliation… mais aussi l’amour d’Angel (et de sa poitrine, dont Bubby fait son principal critère!), l’infirmière du groupe d’handicapés. D'autres enjeux sont élucidés, plus complexe, comme la prise de conscience de vertus singulières, de ce qu'on peut faire de bien dans une société, ou encore le rejet croyances dérisoires. Ce dernier est soutenu par le propos le plus intelligemment construit et réfléchi de Bad Boy Bubby. Bubby rencontre un prêtre curieux, qui le conduit dans une centrale scientifique pour lui expliquer l’importance de n’exister que par et pour soi-même, de rejeter toutes croyances en Dieu : « Vois-tu, personne ne t'aidera, parce qu'il n'y a personne là-haut. Personne ! Nous ne sommes que des combinaisons d'atomes et de particules, nous ne vivons pas. C'est l'agencement de nos atomes qui nous confère identité et conscience. Nous ne mourrons pas, ce sont nos atomes qui se recombinent. Il n'y a pas de Dieu. Il ne peut y en avoir. Croire à un être suprême est ridicule. A un être inférieur, à la rigueur, car nous qui n'existons même pas, organisons nos vies avec plus d'ordre et d'harmonie que Dieu ne l'a jamais fait pour la Terre. Nous mesurons, nous combinons, nous créons des musiques merveilleuses. Nous sommes les architectes de notre existence. (…) C'est le devoir des êtres humains de penser que Dieu n'existe pas. Ainsi, nous aurons un avenir, car alors seulement, nous serons responsables de ce que nous sommes. C'est ce que tu dois faire, Bubby : nier l'existence de Dieu. Sois responsable de ce que tu es. »Bubby a compris son devoir, il l’avait compris dès qu’il a fait surface. Il est ce qui se rapproche le plus du surhomme de Nietzsche, il est le sens de la terre. Chanter, manger, baiser et aimer sont à la fois une responsabilité et une récompense pour soi-même. Si cette prise de conscience du « moi » est l'unique centre d'attention du film, Bubby demeure loin d’être introverti : c’est au contraire en allant au contact des autres qu’il trouve son « moi ».

Bubby, l’être universel ? Dans Bad Boy Bubby, pas de caméra subjective. Rolf De Heer a trouvé un autre moyen d’assujettir le sectateur à la perception de Bubby : les prises de son ont été réalisées grâce à des sondes auditives placées derrière l’oreille et les cheveux de l’acteur Nicholas Hope (Bubby). Un système binaural utilisé durant tout le long du film. Avec Bubby, nous devons ré-apprendre à nous assumer tels que la nature nous a fait, par-delà les jugements sociétaux jusque-là usités. D'ailleurs, autre point fort du film - en contrepoids de sa première partie répugnante -, on ne ressent aucune pudeur, aucune gêne devant les scènes de nu ou avec les handicapés. Juste de l'affection, et une infinie tendresse. C’est aussi notre devoir à nous de suivre Bubby, le surhomme, dans sa quête initiatique de l’humanité, et qu’une fois arrivés au but, on la regarde comme pour la première fois, on imagine tout ce qu’elle a encore à nous donner, à créer, tous les atomes qu’elle devra combiner pour obtenir le meilleur de nous, les « êtres » humains.

Rolf De Heer, à propos de Bad Boy Bubby, explique : « J’ai voulu faire un film sur l’enfance, sur l’importance d’être aimé pour un enfant. Des recherches antérieures sur les tueurs en série m’avaient appris que, presque sans exception, ils avaient eu une enfance meurtrie. Pour moi, ce film est un plaidoyer pour l’enfance. « C’est également devenu un film sur la façon dont nous jugeons les gens de manière superficielle, presque toujours sur des normes sociales ou ethnocentriques arbitraires, le plus souvent à tort ou injustement. Bubby, qui ne connaît rien du monde, le découvre ainsi sans à priori, et au contact des autres apprend comment se comporter. « Ce film est devenu aussi un film sur les apparences et les faux-semblants. Qu’est-ce qui est beau ? Qu’est-ce qui est laid ? Pour qui ? Dans quelles circonstances ? Qu’est-ce que l’innocence ? Qu’est-ce que la culpabilité ? ».

Ces questions sont au cœur de Bad Boy Bubby.

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